« Emprisonner ne devrait plus dire cacher! »
Il y a 3 ans, le 11 octobre 2019, j’ai publié « Vols de temps - Chroniques des années anonymes » édité chez Lémeac! Depuis, il a été vendu à des centaines de milliers d’exemplaires! Sa parution en plusieurs langues lui a valu un succès planétaire. Hollywood prépare une adaptation cinématographique avec la participation de vedettes de réputation internationale!
Il fallait s’y attendre! Le titre du livre à lui seul, frappe l’imaginaire! Quand au sujet de l’oeuvre, une aventure humaine vécue de l’autre côté du mur! Il fallait bien que quelqu’un explore un univers resté trop longtemps objet de tous les mystères. La critique a été unanime « Vol de temps fait la démonstration qu’il est possible, grâce à l’effet salvateur de la culture, de voir le meilleur au coeur du pire ». Oui, la culture c'est ce qui reste toujours, quand tout tombe. Il suffit de lui donner une chance!
Des lecteurs ont lu plus qu’une fois Vols de temps! Des passages sont cités par des étudiants, des professeurs. Ces "Chroniques des années anonymes" sont devenus un livre de référence dans les départements universitaires de criminologie et d’animation culturelle, une lecture obligatoire! Des chefs d’états ont en fait leur livre de chevet. Pour eux, Vols de temps est désormais une source d’inspiration pour toutes les réformes dans le domaine carcéral.
Depuis la parution de ce livre, tout le monde en parle! Jamais on a autant parlé des programmes de réhabilitation pour les personnes incarcérées et particulièrement du rôle de la culture, de l’éducation dans l’épanouissement des hommes et des femmes de passage en prison ainsi que de l’importance de leur ouverture à la communauté par des moyens comme la radio, le théâtre, le cinéma, la formation scolaire et professionnelle.
Durant 30 ans, des milliers de personnalités publiques se sont déplacées en prison pour rencontrer les détenus dans le cadre de leur émission radiophonique, Souverains anonymes. De cette longue expérience d’ouverture, le fondateur de ce programme a tiré quelques réflexions qu’il a voulu partager dans un livre. Dès le début de son récit, il tient à préciser « Ceci n’est donc pas le livre d’un écrivain. C’est le livre d’un homme témoin privilégié du beau, quand le meilleur se manifeste au cœur du pire ! »
Beaucoup d’hommes et de femmes qui oeuvrent dans la politique active ont retrouvé dans Vols de temps le sens originel de la notion de sécurité. Désormais, la sécurité en matière carcérale ce n’est plus celle qu’on croit. À quoi sert cette sécurité que la prison nous offre, comme service publique, si elle ne permet pas à un détenu de quitter la prison à la fin de sa sentence moins criminel que lorsqu’il est entré. Si la prison a été longtemps qualifiée comme une école du crime, le rôle des programmes c'est d'en faire une école de vie. Emprisonner ne devrait plus dire cacher!
Heureusement, depuis la sortie du livre il y a 3 ans, on assiste à une abondance de débat public sur le thème de la réhabilitation. Des émissions régulières sont maintenant consacrées à la question carcérale. Des journalistes accueillent les détenus à leurs sorties de prison pour les interroger sur leur plans de sortie! Cet engouement pour la question de la réhabilitation explique pourquoi les cinq candidats aux élections provinciale 2022 n’avaient pas d’autres choix que d’en faire un enjeu électorale. Comme vous l’avez bien noté, Vols de temps a été cité par les cinq candidats lors du débat des chefs qui a eu lieu le 23 septembre à Radio Canada. Chacun est allé de son passage préféré:
C’est le co-porte-parole de Québec solidaire qui a ouvert le bat des citations : « Si la prison est l’expression d’un manque d’imagination, les détenus, eux, n’en manquent pas. Nous entretenons toute une culture de silence sur l’aspect le plus important d’une prison, la réhabilitation. Comme si la personne incarcérée n’avait pas de lien avec nous ». Il a aussitôt ajouté « Si je suis élu le 3 octobre Premier ministre du Québec, je mettrai fin à cette culture du silence en me rendant personnellement dans plusieurs prisons du Québec! ».
Le chef de la CAQ était visiblement prêt à réagir par une autre citation de Vol de temps qu’apparemment, il avait bien mémorisé: « La réhabilitation des personnes incarcérées n’a jamais été un enjeu électoral, et pourtant guérir coûte beaucoup moins cher que punir ». À cette affirmation, le co-porte-parole de Québec Solidaire n'a pas hésité d’exprimer son total accord. Le chef de la CAQ a promis si il est réélu Premier ministre du Québec, lui aussi il posera un geste symbolique pour rappeler la priorité du Québec en matière de réhabilitation. Il se rendra dans un des centres de formations scolaires et professionnels d’un centre de détention. Il a conclu avec ses mots « Si guérir coûte moins cher que punir, ça veut dire que la prison coûtera moins cher aux contribuables ».
La cheffe du parti libéral est la seule qui avait Vols de temps en main dédicacé par l’auteur. Après avoir affirmé que c’est un de ses livres de chevet, elle a lu un passage de la page 46 « Vous avez sûrement entendu parler de justice réparatrice. Un concept génial qui s’inspire fortement de vieilles traditions amérindiennes. La justice réparatrice a pour mission de permettre la rencontre entre une victime (ou sa famille dans le cas d’un meurtre) et son agresseur (jugé coupable) pour que ce dernier prenne conscience de l’ampleur du mal qu’il a fait. Prendre conscience de l’épreuve vécue par la victime. Une façon d’éveiller son empathie. » La cheffe libérale a ajouté en regardant la caméra droit devant « Je crois beaucoup à la justice réparatrice, parce qu’elle est fondée sur une valeur universelle qu’on retrouve beaucoup dans les traditions amérindiennes, l’empathie. Si les québécois me font l’honneur de me choisir comme la première femme noire Première ministre du Québec, je m’assurerais personnellement que cette notion de justice soit intégrée dans notre système pénale d’une façon officielle ».
Le chef du parti conservateur du Québec attendait impatiemment son tour pour citer, lui aussi, un passage de Vols de temps: « Depuis un certain 11 septembre, l’idéologie sécuritaire, dans le monde, est devenue une religion d’État. Le Québec, qui a fait le choix, depuis sa révolution tranquille, d’une vision progressiste sur les questions de justice, de sécurité et de réhabilitation, n’a pas échappé au vent de droitisation. Les grands médias faiseurs d’opinion ont suivi la tendance. » Il a aussitôt ajouté en regardant le chef du parti de la CAQ et toujours Premier ministre du Québec « À force de porter des coups à nos libertés individuelles, particulièrement lors de la pandémie, votre gouvernement a fait régner l’insécurité chez les citoyens. Si je suis élu Premier ministre du Québec, je ferais tout pour reconstruire ce que vous avez détruis, un sentiment de sécurité. Moi aussi j’irais faire un tour dans un centre de détention. J’irais partager un repas avec les détenus, mais pas avant d'avoir écouté les doléances des gardiens. Je ne manquerais pas de les remercier pour leur travail héroïque accompli durant la pandémie ».
Content de conclure ce bal des citations, le chef du parti québécois tenait d’abord à dire ceci « De ce livre Vols de temps, que j'ai lu avec beaucoup d'intérêt, je vais vous lire un poème signé Miguel, aujourd’hui un ex-détenu. Je crois que tout y est. La résilience, la réhabilitation, la liberté, la paix, l’espoir. Je n’ajouterais aucun autre commentaire à ce slam:
Si j’étais une danse, je serais la danse d’une couleur
Celle qui me rappelle d’où je viens
Celle qui donne à mon sourire l’éclat du jour, la fierté des miens !
Ma couleur n’est pas un déguisement pour amuser les citoyens
Ma couleur, c’est la danse du soleil sur chaque Africain
Chaque Ivoirien, chaque Congolais, chaque Haïtien chaque Nigérien,
chaque Sénégalais ou Mauritanien
Chaque Somalien, chaque Égyptien, chaque Maghrébin chaque Antillais,
chaque Jamaïcain, chaque québécois, chaque être humain!
Les miens sont sous-représentés dans les grands médias Surreprésentés en prison
Je ne danse pas la danse de la trahison
Je danse la danse des miens
Celle de Malcom et Martin
Ils se sont battus pour que moi, je danse la danse du soleil
Celle qui me rappelle d’où je viens, celle qui fait du bien
Ils disent œil pour œil, balle pour balle
Moi, je dis «danse pour danse» et j’ouvre le bal
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Vols de temps - Chroniques des années anonymes
Auteur: Mohamed Lotfi
Éditeur: Jean Barbe
Éditions Lémeac
2019
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Nul besoin de préciser que ce texte est une satire!