« Je connais des criminologues qui sont devenus aussi prisonniers que les détenus.. »
Étudiants de l'Université d'Ottawa en criminologie
7 Octobre 2010
Étudiants de l'Université d'Ottawa en criminologie
7 Octobre 2010
Étudiants de l'Université d'Ottawa en criminologie
7 Octobre 2010
Intro musicale
Je quitte ma cellule
Je traverse les couloirs
Je salue mes amis
Je leur dis " à plus tard "
Je n' quitte pas Bordeaux
Ce n'est pas un drame
je m’évade dans les mots
et les yeux d'une femme
Ma vie est un roman
Ma vie est une chanson
Qui en est l'auteur
c'est toute la question
Des questions que je me pose
en vers et en proses
Je te salue belles et braves femmes,
Et je te plaide notre cause
Sylvie, Gina
Veronika, Natalie, Josée
Alexandre, Alexandra,
Sophie et Louis
Bienvenue parmi les
Souverains anonymes
01- Bonjour et bienvenue encore une fois, Sylvie, Romanne, Gina, Véronika, Nathalie, Josée, Alexandre, Alexandra, Sophie et Louise. Je m’appelle Stony Star. Vous avez fais deux heures de route pour venir nous rencontrer. Ce n’est pas à tous les jours que nous recevons, à notre émission, dix invités dont 9 sont des femmes. Je connais beaucoup de gars qui auraient aimé être à ma place. Je rappelle que 8 parmi vous sont des étudiants en criminologie à l’Université d’Ottawa. Sylvie Frison, qui n’est pas à sa première visite à notre émission est votre professeure et directrice du département de criminologie. C’est elle qui vous donne le cours art et prison. D’ailleurs si vous êtes avec nous aujourd’hui, c’est parce que Souverains anonymes fait parties des rares programmes de réinsertion qui font appel à l’art. Je vous parlerai plus tard de mon art. D’autres Souverains viendront faire des témoignages et vous diront notamment ce qu’ils pensent du métier de criminologues. Je souligne que parmi il aussi Louise Poirier. Louise vous êtes musicienne et chanteuse et vous travaillez dans une maison de transition pour encourager la créativité des femmes en détention. Vous nous en parlerez plus tard. Pour l’instant, je vais céder la parole à Mohammed pour vous parler de l’histoire et des objectifs de ce programme qu’il dirige depuis plus de 20 ans à la prison de Bordeaux : Souverains anonymes.
02- (Court exposé de Mohamed Lotfi)
03- Rebonjour, c’est encore Stony. Mohamed a parlé d’art et de créativité comme moyen de réinsertion pour un détenu. Je dois dire que dans mon cas l’art a toujours été pour moi un moyen de canaliser mes frustrations. J’ai vécu dans ma vie des choses pas toujours faciles, notamment avec mon père. Quand il a divorcé de ma mère, je me suis trouvé comme soulagé, parce que j’avais marre de le voir et l’entendre me rabaisser. Mais en même temps, son départ a laissé un vide. Un vide que j’ai dû combler par la rue. La rue et les amis de la rue sont devenus en quelque sorte ma famille. C’est là que j’ai appris de bonnes et de mauvaises choses. Les mauvaises choses m’ont amené en prison et les bonnes choses ont fait de moi un chanteur auteur compositeur et interprète de raggae. Aujourd’hui, je veux m’arrêter sur les bonnes choses, c’est pour ça que le programme Souverains anonymes me convient parfaitement. Ce que j’écris et ce que je chante devant mes amis Souverains me donnent le sentiment d’être quelqu’un. Quand je chante, je me sens libre et je libère avec moi tous mes amis. Je me sens utile à quelque chose. Je me sens un artiste respecté. Et tout ça me donne le goût de faire des projets. Je veux produire mon propre album. Je veux compléter des études que j’avais abandonnées (J’ai toujours été bon aux études). Je veux avoir un travail. Maintenant que vous me connaissez, retenez mon nom d’artiste, Stony Star. Je me permet de vous donner un petit conseil. Si un jour vous travaillerez dans un centre de détention, ne sous-estimez jamais les capacités artistiques d’un détenu. MERCI!
04- Bonjour à vous tous. Je m’appelle Ribad. Algérien de Québec. Dans mon cas la prison c’est un incident de parcours qui ne se répétera pas. Franchement, rien dans ma vie ne me préparait à cette expérience. Je suis content de voir que certains programmes peuvent aider les gars à s’en sortir. Pour moi je participe à Souverains anonymes parce que ça me permet de rencontrer des gens de l’extérieur. Aujourd’hui, vous êtes dix. Je suis dix fois plus content. Chaque fois que je parle dans ce micro, je suis conscient que des auditeurs, dans leurs salons, dans leurs cuisines ou dans la voiture nous écoutent. Ça me donne la sensation de ne pas être coupé du monde. Un monde avec lequel tôt ou tard, les détenus vont reprendre contact. Je crois que c’est important de garder le pont. C’est pourquoi votre visite est importante. À travers vous, je m’adresse à toute la société. Une société à qui je rappelle que ne nous sommes que de passage en prison. MERCI!.
05- Bonjour à vous tous. Je m’appelle Haatym. Merci d’être là parmi nous aujourd’hui, c’est peut-être la seule occasion qui se présente à moi pour me sentir utile à des futurs criminologues. La dernière fois que j’ai rencontré un criminologue, il m’a fait savoir que j’étais à la fois psychopathe et pas psychopathe. Quand je lui ai demandé qu’est-ce qui le fait dire que j’étais à la fois psychopathe et pas psychopathe, il a fait allusion à toutes les notes et observations accumulées sur moi par différents intervenants qui, apparemment, n’ont pas fait de moi le même portrait. Je n’ai pas osé dire à ce criminologue que d’après ma note à moi, il serait peut-être à la fois schizophrène et pas schizophrène. Par cette anecdote, ce que j’aimerais vous dire chers futurs criminologues, quand vous aurez devant vous un jeune comme moi, ne lui dîtes jamais une chose et son contraire. Soyez clairs dans votre pronostique. Si vous voulez sincèrement être utile à ce jeune, il peut s’avérer votre meilleur complice pour vous aider à l’aider. Pour ça il faut vous montrer dès le début emphatique envers lui. Si vous voulez qu’il vous ouvre son cœur, oubliez les notes et intéressez-vous à lui. Et si jamais vous lisez dans son dossier qu’il aurait un comportement antisocial, Écoutez-le d’abord vous-même avant d’arriver à cette conclusion. Vous vous rendrez-compte vous-même qu’il n’est peut-être pas aussi antisocial que ça. Savoir écouter c’est un art. Un art qu’on n’apprend pas à l’université. Puisque vous avez quitté votre Université pour prendre le temps de nous écouter, je vais vous dire ce que je n’ai pas dis à mon criminologue. Je vais vous parler de moi. De mes projets d’avenir. À ma sortie, de Bordeaux, j’aurais accumulé plus de deux ans d’enfermement. Ce temps m’aura servi à réfléchir et à mieux me connaître. J’aurai pris quelques cours pour compléter mon secondaire. J’aurais surtout fais des rencontres formidables dans le cadre de l’activité Souverains anonymes. Des artistes avec qui j’ai appris à communiquer. Le premier projet que j’aimerais réaliser à ma sortie c’est de faire un long voyage au Maroc. Je veux reprendre contact avec mon père que je n’ai pas vu depuis 18 ans. Reprendre contact avec la mer. La mer atlantique. Je veux me redonner une santé morale et mentale en respirant l’air de l’océan. Je sais d’avance que l’Océan atlantique me fera plus de bien que n’importe quel criminologue ou n’importe quel psychologue. À mon retour au Québec, je serai prêt à affronter de nouveau la vie, la tête haute. Aujourd’hui, j’ai 20 ans, c’est la première fois que je fais du temps. Devant vous chers futurs criminologue, je déclare solennellement que ça sera la dernière fois. Merci de m’avoir écouté.
06- Bonjour à vous tous. Je m’appelle Zakarie, J’ai manqué la première rencontre entre les Souverains et des étudiants en criminologie il y a deux ans. Aujourd’hui, je suis content de vous rencontrer ne serais-ce que pour vous dire ce que je comprends du métier que bientôt vous aller exercer. Pour moi un criminologue, c’est quelqu’un dont le métier est d’évaluer les risques qu’un détenu représente pour la société. Selon des critères établis, le ou la criminologue doit faire un rapport sur la personne incarcérée pour tracer un profil. Ce que beaucoup de criminologues oublient c’est qu’une personne incarcérée évolue même à l’intérieur des murs. Avec tous les programmes qui existent à leur disposition, plusieurs détenus font un grand chemin et souvent ils ne correspondent plus au premier profil qu’on a fait d’eux. La pire erreur que certains criminologues font c’est de ne pas tenir compte de cette évolution. Moi, par exemple, avec mes nombreuses participations à Souverains anonymes, j’ai beaucoup appris des rencontres artistiques. J’ai pris une grande confiance en moi-même. J’ai aussi apprécié à découvrir beaucoup de détenus sous un nouveau jour. Le programme Souverains anonymes révèle la part lumineuse de nous-mêmes. Ce n’est pas juste de la distraction. Je n’ai pas l’intention de remettre les pieds en dedans. Je vous souhaite bonne chance dans vos carrières.
07- Bonjour à vous tous. Je m’appelle Louis. Merci chers futurs criminologues de s’intéresser à nous. Apparemment, il y a plus de femmes que d’hommes qui s’intéressent à la criminologie. Probablement parce que les femmes sont plus naturellement sensibles à la détresse humaine. Elles ont un don plus naturel pour aider. Je crois que c’est une bonne chose de voir plus de femmes qui travaillent en prison. Surtout dans les prisons pour hommes. Il faut reconnaître que la prison est beaucoup plus humaine depuis que les femmes y travaillent. Je sais que certains contre, moi je suis pour. Je préfère rencontrer une femme criminologue qu’un homme criminologue. Je sens que je peux davantage faire confiance à une femme. D’ailleurs, ma meilleure criminologue c’est ma mère. C’est elle que j’aurais dû entendre. Aujourd’hui, je sais que je ne ferai plus de peine à ma mère. MERCI!
08- Bonjour à vous tous. Je m’appelle Emmanuel. Moi j’aimerais juste vous dire que parmi les détenus, il y en a beaucoup comme moi, qui ont été tellement puni physiquement dans leur enfance qu’aucune punition ne leur fait de l’effet. Les mettre en prison c’est une punition de plus qui ne les rendra pas moins délinquants. C’est pour ça que le rôle du criminologue est capital. Son rôle est de savoir gagner la confiance de ces hommes en les écoutant attentivement. Un détenu va prendre au sérieux un criminologue si ce dernier représente une source d’aide et non pas de punition. Je ne vous raconterai pas toute ma vie, ça serait long. Je vous dis simplement que j’ai deux petites filles. C’est sûr que je ne mettrai jamais la main sur elles. Je connais trop les conséquences de la punition physique, j’en paye le prix. MERCI!
09- Bonjour à vous. Je m’appelle Fares. Je suis arrivé d’Algérie au Québec à l’âge de 10 ans, ça fait 13 ans que je ne suis pas retourné chez-moi. Il faut dire que lorsque j’ai quitté l’Algérie, il y avait presque une guerre civile qui se déroulait devant mes yeux. Heureusement le Canada m’a accueilli avec ma famille. Si ma famille a choisi d’immigrer c’est pour donner un meilleur avenir à leurs enfants. Or, aujourd’hui, je me trouve en prison. Il y a malheureusement de plus en plus d’enfants d’immigrants qui se trouvent en prison. Moi je n’ai aucunement l’intention de revenir. Mais pour les autres détenus issus de l’immigration, je crois que les futurs criminologues que vous êtes, vous devriez avoir une approche qui tient compte des réalités de l’immigration. Savez-vous par exemple que 28% des maghrébins du Québec sont touchés par le chômage. Les enfants maghrébins sont témoins de la déception de leurs parents. Ce que je vous raconte, je ne l’ai jamais raconté à un criminologue, je ne suis pas sûr qu’ils soient ouverts à ce genre de témoignages.
10- Bonjour à vous tous. Je m’appelle André. J’ai 74 ans, la première fois que j’ai fais du temps, j’avais 17 ans. Et c’était à Bordeaux. J’ai connu tous les grands criminels de l’époque. Aujourd’hui, après tant d’années passées dans plusieurs prisons du Québec, si c’était à refaire, je ne le ferais pas. Y’a rien qui mérite qu’on aille en dedans. Les criminologues n’ont jamais rien fait pour moi. Je suis la preuve vivante que la criminologie ne peut aider que ceux qui voudraient s’aider eux-mêmes. Mais dans ma vie, je n’ai pas fais que la prison, j’ai aussi été soudeur. Aujourd’hui, je suis rendu à l’heure de la retraite. Personnellement, je n’ai qu’un conseil à vous donner. Occupez-vous bien de vos propres enfants. Merci de votre attention.
11- Bonjour à vous tous. Je m’appelle Réjean. Moi j’ai comme principe qu’on devrait toujours se battre pour quelque chose dans la vie. Je vous dis ça parce j’ai fais du temps à quelques reprises, j’ai souvent vu des gars en dedans qui se découragent facilement devant l’attitude de certains fonctionnaires dont des criminologues. Je leur dis souvent de ne jamais lâcher. De ne pas avoir peur de parler de soi et d’ouvrir son cœur, parce qu’on ne sait jamais. De tous les fonctionnaires, y en a sûrement un quelque part mieux que les autres. De la même façon qu’on ne veut pas que les fonctionnaires aient des préjugés sur nous autres, il ne faut pas en avoir sur eux autres. C’est à nous autre de leur prouver qu’on est capables d’être mieux que les rapports et les notes. C’est à nous de savoir leur parler. La pire chose qui peut arriver à un détenu c’est de commencer à jouer le jeu du système. Les fonctionnaires font très vite la différente entre celui qui joue et celui qui ne joue pas. Et à vous chers futurs criminologues, si vous voulez bien faire votre métier, soyez meilleurs que les anciens criminologues. Ne vous laissez pas gagner par leur cynisme. Ça ne sera pas facile, mais ça ne sera pas impossible.. J’ai aujourd’hui 62 ans. Je ne reviendrais plus en dedans. Mais je pense aux futurs détenus. Je voudrais qu’ils soient mieux traité par des futurs criminologues. MERCI de m’avoir écouté.
12- (Échange entre Futurs criminologues et Souverains..)
13- Bonjour à vous tous. Je m’appelle Haik. Je ne parle pas bien français, mais je chante en plusieurs langues. Arabe, indien, Arminien, Turque et anglais. Moi et mes amis, je vais vous présenter une création musicale :
14- Chers futurs criminologues, je vais vous souhaiter la même chose que nous avons souhaitée à d’autres étudiants en criminologie. J’espère de tout cœur que vous allez être à tout jamais vaccinés contre le cynisme et le découragement que vous allez sûrement croiser sur votre chemin si vous décidez de travailler dans le milieu carcéral. Je vous souhaite d’être visionnaires dans vos fonctions et surtout d’être utiles à quelques personnes qui ne voudraient plus jamais remettre les pieds en dedans. J’espère aussi que les étudiants en criminologie viennent plus souvent en prison pour s’imprégner de la réalité carcérale et mettre un peu plus d’équilibre entre la théorie et la pratique. Et n’oubliez jamais que la seule clef pour réussir votre travail c’est d’aimer les gens pour qui vous allez travailler. Quand les gens vivront d’amour, il n’y aura plus de criminologues sur la terre. Merci d’être venu vivre avec nous un moment de partage. Aux noms de tous mes amis Souverains, je vous déclare Sylvie, Gina, Veronika, Natalie, Josée, Alexandre, Alexandra, Sophie, Et Louise Souverains anonymes.