"Je te souhaite de ne pas oublier de vivre" SA
Émission complète
Introduction
Tu quittes ta cellule
Tu traverses les couloirs
Tu salues tes amis
Tu leur dis " à plus tard "
Tu n' quittes pas Bordeaux
Du moins pas encore
Tu t’évades dans les mots
et la musique des noirs
Ta vie est un roman
Ta vie est une chanson
Qui en est l'auteur
c'est toute la question
Des questions que je me pose
en vers et en proses
Je te salue Monsieur le Maire
Et je vous plaide notre cause
Stéphane Gendron
Bienvenue parmi les Souverains anonymes
L'immigration, c'est le mouvement, le mouvement c'est la vie.. Je suis un immigrant, je suis un vivant.. Je suis un gnawi dans un pays étranger, je suis avec un homme qui se sent parfois étranger dans son propre pays, on est donc fait pour s'entendre.. Stéphane Gendron, Maire démissionnaire, communicateur hors pair et personnage principal d'un documentaire..
1- Bonjour Stéphane, je m'appelle Ben. Bienvenue pour la deuxième fois à Souverains anonymes. La première fois c'était il y a 4 ans. En plus d'être Maire de Huntington encore pour quelques jours, tu es aussi animateur radio, animateur télé. Il t'arrive même parfois d'être dans les vues.. D'ailleurs, tu es le personnage principal de ce documentaire qui s'appelle "Les autres" réalisé par Vincent Audet-Nadeau. Nous l'avons vu et nous l'avons beaucoup aimé. Voilà pourquoi tu es avec nous. Pour parler de la vie devant soi quand on est immigrant ou fils d'immigrant. Quelques Souverains vont te confier l'expérience d'immigration de leur parent. Dans mon cas je peux te dire déjà que je suis arrivé au Québec il y a 32 ans.. J'ai fondé une famille. J'ai deux enfants qui vont bien Hamdouallah.. Ils se sentent entièrement québécois.. Moi, je fais confiance au Québec de mes enfants.. je crois qu'ils sauront éviter les pièges du racisme et de la discrimination.. Avec mes enfants et tes enfants, c'est un autre monde qui commence. Moi et d'autres immigrants, nous sommes venus ici pour améliorer notre sort, mais finalement, c'est surtout pour permettre un meilleur sort à nos enfants.. En attendant le début d'un monde nouveau, nous vivons quelques difficultés de communication entre la société d'accueil et les nouveaux immigrants. C'est à ça que le film "les autres" fait allusion. Avant de te poser ma question, nous avons demandé à Vincent Audet-Nadeau, le réalisateur du film de nous raconter ce qu'il retient de son expérience et voici sa réponse:
Stéphane, nous avons été touché par ta sensibilité envers les immigrants musulmans que tu as voulu attiré à ta ville. Tu as mis toutes les facilités pour les attirer. Tu n'as pas réussi, mais qu'est-ce que tu retiens de bon quand-même de cette aventure..?
2- Bonjour Stéphane, je m'appelle Brahim, je suis d'origine de Sierra Leone.. On m'appelle Africa parce que je porte l'Afrique dans ma peau, mais si je devais revivre en Afrique, ça ne serait pas au Sierra Leone. J'en garde de très mauvais souvenirs. La guerre civile dans ce pays m'a volé ma jeunesse. J'ai été kidnappé par les rebels qui ont fait de moi un enfant-soldat. Mais ces mêmes rebelles voulaient se débarrasser de moi après avoir été blessé par l'armée. Je me suis trouvé dans la forêt durant quelques mois avant de fuir en Guinée.. Depuis que je suis arrivé au Canada, je me sens chanceux d'être encore en vie, mais on dirait que ce passé me poursuit. Je suis incapable de me concentrer pour chercher un travail.. Avec tous les programmes qui existent pour les nouveaux immigrants, il y a rien pour les enfants-soldat au Québec.. C'est Mohamed qui m'a fortement recommandé de rencontrer une équipe de psy.. Je mets tout mon espoir sur une thérapie parce que je crois avoir beaucoup de qualité pour être comme mon père, un bon travaillant.. Je suis tanné de venir en prison.. Ce n'est pas en revenant à Bordeaux que je deviendrais un adulte autonome.. Peut-être que moi aussi, en tant que musulman, j'irai faire un tour à Huntington.. MERCI!
3- Bonjour Stéphane, je m'appelle Snyder. Mes amis m'appellent le chat. Moi je suis un québécois, né au Québec, je ne me vois pas comme un immigrant, mais l'enfant d'immigrant.. On ne me demandera pas à moi de m'adapter.. Comme dirait Djemal Debbouz, je suis un icissien. Moi aussi je te dis MERCI d'avoir fait ce film.. Dans un contexte ou les musulmans font souvent objet de racisme et d'amalgame, je trouve courageux qu'un politicien vient à la défense des musulmans et cela concrètement.. En passant, je suis devenu moi-même musulman.. Donc, à ma sortie de Bordeaux, j'irais me chercher du travail à Huntington.. Si tu permets Stéphane, j'aimerais attirer ton attention et celle de ton réalisateur sur un sujet très sensible qui mérite d'être souligné dans un documentaire choc. Je connais plusieurs amis qui sont des enfants d'immigrants, ils sont arrivés très jeunes au Canada. Ils ont grandi au Québec, ils ont tout appris au Québec, mais parce que leurs parents ont négligé de faire leurs papiers de citoyenneté canadienne, ils se sont trouvés de jour au lendemain expulsé du Canada. La raison, ils ont un dossier criminel.. Moi aussi, j'ai un dossier criminel, moi aussi j'ai grandi ici, j'ai tout appris ici.. Mais pourquoi lui et pas moi?
Au moment ou on se parle, il y a en Haïti des dizaine de jeunes québécois qui traînent dans les rues en Haïti sans avenir et sans grand espoir, alors qu'ici ils ont leurs vie, leurs familles et souvent leurs enfants.. C'est un sujet très chaud, très sensible, mais apparemment les cinéastes ne savent pas comment l'aborder... Toi et le réalisateur Vincent Audet-Nadeau, vous semblez plus courageux, alors, pour quand un film sur les déportés haïtiens qui ont grandi au Québec...?
4- Bonjour Stéphane, je m'appelle Youssef, mon histoire d'immigration à moi est à l'envers de toutes les histoires. Je suis le fruit d'une rencontre entre une canadienne et un marocain qui se sont connu en Europe. Ma mère a suivi mon père au Maroc où elle a tout appris, la langue la religion, la cuisine avant de rentrer au Canada avec mon père. J'avais alors un an. Mes parents se sont séparés. J'ai été élevé par ma mère et c'est grâce à elle si aujourd'hui, je parle l'arabe, je connais ma religion, je me sens culturellement très attaché autant au Québec qu'au Maroc. J'espère que le Québec de demain, celui de mon fils, se débarrassera de tous les préjugés qui font que certains immigrants ont de la misère à trouver du travail à cause de leur nom.. Cher Stéphane, puisque tu as participé à un film sur les immigrants au Québec et leur rapport avec les régions, j'aimerais d'abord te dire Merci à toi et au réalisateur Vincent Audet-Nadeau d'avoir une sensibilité particulière envers les immigrants, particulièrement, les musulmans du Maghreb qui souffrent d'un haut taux de chômage.. Dis-moi, si tu étais ministre de l’immigration, quel serait la première mesure que tu prendrais pour baisser le taux de chômage des immigrants maghrébins, trois fois plus élevé que la normale..?
5- Bonjour Stéphane, je m'appelle Pascal, j'ai vu le documentaire "Les autres" dans lequel tu joues un rôle de médiateur entre les immigrants et les québécois des régions.. Apparemment, tu n'as pas réussi! Moi j'aimerais te parler des autres un peu. C'est ici à Bordeaux que j'ai appris à découvrir les autres pour me rendre compte à quel point ils sont tout aussi nous autres. En passant par Bordeaux, j'ai l'impression d'avoir fait un grand voyage autour du monde.. juste ici à Souverains anonymes, j'ai entendu des musiques et des chants que je n'ai jamais entendu de ma vie.. Je me rends compte à quel point nous ne connaissons pas vraiment ces gens venus d'ailleurs.. Je me rends compte surtout à quel point, on ne veut pas les connaître. À ma sortie de Bordeaux, je ne verrais jamais Montréal de la même manière. Si je n’avais un enfant dont je dois m’occuper, j’aurais moi-même immigrer dans ces pays et ces cultures que j’ai croisés à Bordeaux, pour les connaître plus, pour les apprécier plus.. Si tu devais immigrer dans un de ces pays, ça serait lequel..?
6- Bonjour Stéphane, je m'appelle Amine. Je quitte Bordeaux dans deux jours et aussitôt, je prends l'avion, aller simple pour Casablanca. Je vais immigrer dans mon pays d'origine.. Je suis déjà l'aéroport, j'attends mes bagages. Je regarde à gauche et à droite, j'apprécie les rénovations et le nouveau décor.. Je traverse la douane avec mes valises et j'apperçois mon père et ma mère qui m'attendent derrière la barrière.. Je me rappelle que mon père ne voulait pas que je rentre à la maison.. Il a peur que nos vieilles chicanes reprennent, mais il ne connaît pas encore mes projets d'immigration. Ma mère et mon père me prennent dans leur bras. Je sens quand-même que mon père est content de me voir.. Ma mère elle, est folle de joie.. On arrive au parking pour monter dans la voiture et tout d'un coup j'aperçois un âne qui se promène dans le parking. Je souris, je me sens vraiment chez-moi. Tiens, je vois un chat qui s'approche de moi.. Il me souhaite la bienvenue.
Après une semaine seulement chez mes parents, un matin, au moment du petit déjeuner, je leur annonce la nouvelle ''Papa, maman, écoutez-moi bien, demain je reprends l'avion'', mon père est surpris, ma mère me répond aussitôt ''quel avion..? Tu viens d'arriver et je ne t'ai pas encore présenté ta future fiancée...'' Je prends une gorgée de jus d'orange frais et je leur lance la nouvelle sans introduction ''Je prends l'avion, on m'attend ailleurs..'' ''Où ça ailleurs..?'' me demande ma mère. Mon père ne dit rien mais il est intrigué.. ''Papa, maman, je prends l'avion demain, parce qu'on m'attend en Chine..'' Et avant que ma mère ne me pose une autre question, je poursuis ''Je pars en Chine, à Shanghai pour faire des affaires.. Je veux importer au Maroc un produit particulier que pour le domaine de la construction.. Ça fait des mois que je prépare ce projet, avec les chinois les affaires se font mieux de personnes à personnes, je vais signer des contrats d'affaires et par la même occasion je vais faire la connaissance d'un pays et d'une grande culture..'' Mes parents n'en reviennent pas.. Mon père n'arrive à cacher sa joie.. Son fils va faire des affaires avec les chinois.. Ma mère, elle, je la sens plutôt inquiète.. Je la rassure ''Maman, je vais pas me marier avec une chinoise..'' Elle éclate de rire.. Je suis de nouveau à l'aéroport, mon père me regarde droit dans les yeux et il me dit: ''Tu sais ce que le prophète a dit, allez chercher la connaissance même en Chine..''. Je suis dans l'avion et j'ouvre mon petit livre pour apprendre comment dire en chinois ''Bonjour, ça va, comment vas-tu..?'' Alors Stéphane, qu'est-ce que je peux vendre aux chinois pour les attirer à Huntington..?
7- Bonjour Stéphane, je m'appelle Soufiane. Mon père travaille à Bombardier. Il est ingénieur. À notre arrivée au Québec en 1998, mon père n'a eu aucun problème à trouver du travail.. Notre drame, on ne l'a pas vécu en arrivant ici. Nous l'avons vécu avant de partir d'Algérie.. Un accident a fait perdre la vie à ma petite sœur. Cela a beaucoup affecté mon père et toute la famille. C'était impossible pour mon père de continuer à vivre là bas.. Nous sommes arrivés ici avec l'espoir d'oublier, mais mon père n'a rien oublié, il s'est replié et j'ai jamais pu communiqué avec mon père comme j'aurais aimé. On a perdu contact. J'ai galéré.. J'ai merdé.. Et je me suis trouvé ici.. Le drame de l'immigration, ce n'est pas seulement ne pas trouver du travail.. C'est aussi le déracinement, c'est aussi certains souvenirs qui nous poursuivent et nous empêchent de vivre pleinement.. Dis-moi Stéphane, est-ce que tu trouves normal que trop d'enfants d'immigrants se trouvent en prison.. C'est une réalité sociologique qui n'a pour l'instant intéressé personne.. Et pourtant, c'est pas normal.. Si mon père savait que j'allais me trouver en prison, il n'aurait jamais immigré.. En tout cas, la prison m'a fait prendre conscience que mon père s'est sacrifié pour sa famille en quittant sa terre natale, à moi maintenant de tirer la leçon qui s'impose.. Mon père est un modèle d'effort, de travail et d'amour pour sa famille.. La vie devant moi, je la vois ailleurs qu'en prison.. J’en fais la promesse.. MERCI!
8- Bonjour Stéphane, je m'appelle Andréas, je suis d'origine allemande. Je suis né ici. J'ai été élevé par un père québécois de souche qui m'a donné de bonnes valeurs. J'ai un bon rapport avec mon père biologique. Je suis le fruit d'ici et d'ailleurs.. Je suis anglophone et francophone.. J'ai une bonne expérience de travail.. S'il y a une valeur capital que je retiens de mes parents immigrants c'est bien celle du travail.. J’ai beaucoup travaillé dans ma vie et je vais continuer à travailler.. À ma sortie, je vais donner plus de place à mon art.. Au lieu d’aller faire des bêtises, je ferais des chansons.. Mais d’abord et avant tout je reviendrais au travail.. Merci d’avoir participé à un film qui rappelle que les immigrants sont ici pour rester.. Si mon père biologique est immigrant, moi, je ne suis pas immigrant.. moi je suis québécois et je suis fier de l’être. MERCI!
9- Bonjour Stéphane, je m'appelle Bruce. tu es mon cadeau de départ. En matière de travail, tu es un exemple à suivre.. Maire, animateur radio, animateur télé et je ne sais quoi d'autres.. Tu te lèves tôt, tu te couches tard.. À ma sortie, je vais peut-être moi aussi immigrer à Huntington.. Les maisons sont pas trop chères.. Mais pourrais-je trouver du travail aussi facilement qu’à Montréal..?
10- Stéphane Gendron, avant de se quitter, je vais te chanter la chanson de Ben Soussan.. C'est l'histoire d'un travailleur ouvrier qui a été arrêté et emprisonné parce qu'il a osé défendre son honneur lorsqu'une femme lui a manqué de respect. Pas n'importe quelle femme, c'est une française qui s'est sentie insulté par le petit bonjour Madame d'un ouvrier marocain..
Stéphane Gendron.. Dans quelques jours tu ne seras plus officiellement Maire de Huntington.. Mais dans la mémoire des québécois, tu resteras le Maire à vie de cette ville que tu as servi avec amour et passion.. je ne sais pas ce que tu deviendras dans quelques années, mais sûrement quelqu'un de plus intéressant qu'un écraseur de chats.. Je te laisse sur cette citation de La Bruyère "Il n'y a pour l'homme que trois événements: naître, vivre et mourir. Il ne se sent pas naître, il souffre à mourir, et il oublie de vivre". Quoi que tu deviennes, pour la vie devant toi, je te souhaite de ne pas oublier de vivre. Merci d’être venu partager avec nous un moment de ta vie,
Merci d'être venu nous visiter pour la deuxième fois. Ce n'est peut-être pas la dernière. Au nom de tous mes camarades, je te déclare Stéphane Gendron, Souverain anonyme..